Dublin est une petite ville. Là-bas,
ce ne sont pas les distances qui découragent le piéton, mais la pluie, la
« pissing rain » pour être plus précise. Enfouie sans le sou dans un Dublin
Bus, je somnolais paisiblement lorsque j'aperçus par la fenêtre un
lévrier d'une élégance rare. Imperméable aux torrents d'eau qui lui tombaient
sur la tête, sa prestance était telle que le chien semblait promener le maître.
L'homme qui l'accompagnait servait de pendentif, de faire-valoir. Habitée par
une pulsion soudaine, je sonnai l'arrêt et descendis pour suivre l'objet de ma
fascination. Cette poursuite m'amena jusqu'au Harold Cross Greyhound Stadium
et je perdis rapidement mes proies dans la foule de spectateurs. Je
m'assis tout de même dans l'intention de regarder la course. Le nombre
d'imperméables noirs campés devant moi m'impressionna. L'humidité ambiante
alourdissait mon corps et ajoutait à ma soudaine fascination pour l'endroit.
Une heure s'écoula avant que les
lévriers fassent apparition sur la piste. Dès que je le reconnus, son
raffinement me frappa de nouveau. Je me levai d'un bond et courus au kiosque
des paris. « Le numéro 9. Vingt dollars sur le numéro 9 ». Cette
somme était tout ce que je possédais.
Comme je l'avais pressenti,
vingt-six secondes lui suffirent pour remporter la course. J'eus un faible
sourire et allai aussitôt réclamer mon gain. Cent vingt dollars. Je me dis que
j'avais enfin trouvé le moyen de renflouer les coffres. La prémonition qui
m’avait amené dans ce stade n’était pas anodine. J’étais certaine de posséder
un don : reconnaître la victoire chez les chiens. Cette idée fit son
chemin et je me promis de revenir à toutes les courses de la saison. Comme je
l’avais pressenti, je me mis à gagner tous les paris. Au bout de trois mois, on
me soupçonna même de tricher et on menaça de m'interdire l'entrée au stade.
N'ayant jamais cédé à la pression, je m'entêtai à revenir.
Ainsi, un après-midi de course,
alors que je contemplais ma gloire depuis les estrades, je reçus la visite d'un
homme. Pensant m'intimider, il m'interpella par mon prénom et se présenta sous
le nom de Murphy. Pauvre homme. Il n'avait visiblement pas saisi qui j'étais.
Je l'écoutai et répondis à toutes ses questions nonchalamment. Alors que la
course se terminait, j'allai chercher mes gains et revins à ses côtés.
« M. Maguire, je n'ai jamais perdu et ne perdrai jamais. Il faudra que mon
profit dépasse ce que je touche actuellement». L'effet que produit sur lui
l'utilisation de son véritable nom
dépassa mes attentes. Son assurance déguerpit et je pus aisément négocier une
association avantageuse.
Dès le samedi suivant, j’allai prendre tous les paris du stade et pour
chacun d’eux, perdant ou gagnant, j’encaissai une commission.
La Marraine du Greyhound était
née.
***
Voici un souvenir recueilli auprès de P.P. sur cette mystérieuse Marraine :
« En sortant du métro vers l’Est prendre la rue droit devant, tourner dans la troisième ruelle à gauche, compter 12 pas puis cogner 1 fois à la porte en fer à droite.C’était noté sur un bout de papier entre mes mains.
J’étais rendu à la dite porte en fer. Je cognai un coup. La porte s’ouvrit aussitôt. On me dit de monter l’escalier et de prendre la porte à gauche toute en haut. J’entrai. Un nuage de fumée m’encercla aussitôt. Une faible lumière orangée éclairait la pièce. Je toussai, je ne supportais pas l’odeur du tabac. Mais, cette odeur… c’était plutôt… de l’encens. Je distinguai des silhouettes assises autours d’une table. Je m’approchai lentement. Je dis, d’une voix que je voulais assurée «Je suis celui qui est». La silhouette du milieu se leva et une main me tendit quelque chose à travers le brouillard odorant qui me faisait tourner la tête. Une voix de femme grave et solennelle brisa le silence. «Lisez ceci mon petit». Je saisi le livre qu’elle me tendait. On me prit par l’épaule et on me raccompagna vers la sortie. C’est la première et la dernière fois que j’ai été chez La Marraine. »
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