Friday, April 4, 2014

Les drapeaux de l'Ambassadrice (partie 2 de 2)

J’ai reçu l’appel du Loup de mer. On s’appelle pas beaucoup, lui et moi. On est plutôt old school, du genre parchemin et pigeon voyageur. Je préfère recevoir ses lettres qui sentent le rhum, avec leurs beaux sceaux bordeaux qui ne laissent aucun doute sur l’expéditeur.
Quand j’ai décroché le téléphone, j’ai pas eu besoin d’entendre sa voix paniquée pour comprendre que quelque chose n’allait pas. Je suis rendue fluent en québécois avec les années, enfin j’aime y croire, mais là, j’ai juste compris un charabia qui ressemblait à ça : 
« Ostiedecalissedecrissedemardeelleestfuckingperduetabarnak. »
J’lui ai dit : « P’tit loup (il y a que moi qui peux l’appeler ainsi, il aime pas trop ça en vrai), calme-toé (il paraît que j’ai comme un petit accent qui pointe le bout de son nez parfois). Respire un grand coup. Tout va bien se passer. » C’est des trucs de même qu’ils nous apprennent au cours de yoga. J’suis une bonne élève, j’essaie d’appliquer leurs leçons de façon pragmatique. J’avais toujours pas saisi le problème.
« On l'a perdue, esti. En mer, à part de d'ça ! Vois-tu pas l'ironie ? C'est moi qu'on aurait dû perdre en mer ! V'là qu'elle me vole ma sortie ! »
A ces mots, j’ai compris. L’Ambassadrice manque à l’appel.

L’Ambassadrice c’est un p’tit bout de femme que j’aurais de la misère à décrire. C’est dur de ranger les gens dans des cases, tu sais. Puis j’aime pas ça, étiqueter le monde. En tout cas, l’Ambassadrice, c’est mon amie. Où c’était, je sais pas trop. On se voyait pas souvent mais on avait toutes les deux le goût de la diplomatie, de la justice, et des beaux mots. Je pourrais pas dire que j’ai réussi à vraiment l’apprivoiser et pourtant, j’ai quand même cette boule au ventre quand le Loup m’annonce ça.
Puis il m’a parlé des drapeaux. Encore une énigme, un peu plus de mystère. J’ai l’impression de vivre dans un roman d’Agatha Christie. Comme si on allait tous disparaître, un par un. J’essaie de pas y penser, il suffit juste de suivre les drapeaux et tout ira bien, on va la retrouver. C’est du moins ce que je m’entends dire au Loup, puis dans un murmure, j’ajoute : « Enfin, si elle désire se faire trouver… ».

Un jour, peut-être qu’on écrira sur nous :

Douze petits écrivains se lancèrent dans un long voyage.
L’un d’eux se perdit dans l’océan
Et il n’en resta plus que Onze

— La Justicière démasquée.

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