Sur la
colline, près de la rivière, un énorme chapiteau coloré. Approchez, approchez!
Écoutez cette musique, un orchestre mal accordé, un xylophone qui exhale des
notes volages, tambours et caissons tenant le rythme pendant que les trompettes
de toutes longueurs détonnent un air festif. Derrière l'épaisse toile, une
atmosphère poudreuse suspendue, se diluant comme une goutte de sang dans un
verre d'eau, sous les phares de spectacle qui projettent une chaleur
insoutenable. Humez l'odeur épicée de ces femmes à barbes, de ces éléphants
costumés, ces ours dressés, ces hommes tueurs de lions, ces lions tueurs
d'hommes, ces magiciens au costume râpeux, cette troupe de clowns au maquillage
coulant de sueur, cette voyante orientale voilée des tissus qui furent
précieux, ce couple de nains cascadeurs, ces comédiens, ces travestis, ces
musiciens, ces jongleurs, assassins, équilibristes, contorsionnistes, prostituées,
funambules et acrobates et gladiateurs et monstres de la nature! Tous paradent
sous la toile modulaire, dans leur palais polyester au costume moulant,
couleurs complémentaires, arborant drapeaux et rubans, chiens savants et fusées
éclatant dans l'anarchie rangée du cirque. Dans ce chapiteau comme une mauvaise
herbe sur la plaine, la foire de mes fantasmes, moi, magicien d'Oz de ces
processions lunaires et lunatiques. Je les vois par ma lorgnette, tout là haut
sur mon balcon à rambarde miroir, brillant dans l'obscurité perdue du sommet de
la tente. C'est de là que tout se joue, des manivelles anciennes me permettent
de mouvoir les lumières, de monter les luminaires, descendre les cordes
d'escalade tressées de cheveux humains, monter les trapèzes doubles et triples,
descendre les cages remplies de singes sauvages, monter les aquariums
capitonnés où l'on se noiera sous les yeux ébahis et impuissants du public. La
représentation commence, j'ai déjà enfilé mes longues pantoufles à grelots, mon
costume vert et blanc, mon chapeau blanc et vert aux énormes grelots retombant
mollement sur mes épaules. Un masque discret voile mon regard, Arlequin des
sommets, qui saurait me connaître? Faire ouvrir une trappe au bon moment,
lancer les boules de fumée, fermer et ouvrir les lumières, les rideaux, voilà
tout mon travail pendant le spectacle, le reste serait avant et après. Sous
terre, on me verrait crier, chanter, danser, mordre à rigueur, bâtonner les
uns, bâillonner les autres, sauter en ribambelle le spectacle terminé, ignorant
qu'un autre viendrait, qu'un autre recommencerait le lendemain, ignorant que le
cirque est une boucle sans fin, un nœud coulant de spectacle qui ne fait que
retranscrire, masquer, maquiller, ritualiser la cruauté du quotidien.
Et un autre chapiteau qui aura, un jour, choisi de s'installer à côté du nôtre.
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