Friday, March 21, 2014

Le FORAIN présente...

Sur la colline, près de la rivière, un énorme chapiteau coloré. Approchez, approchez! Écoutez cette musique, un orchestre mal accordé, un xylophone qui exhale des notes volages, tambours et caissons tenant le rythme pendant que les trompettes de toutes longueurs détonnent un air festif. Derrière l'épaisse toile, une atmosphère poudreuse suspendue, se diluant comme une goutte de sang dans un verre d'eau, sous les phares de spectacle qui projettent une chaleur insoutenable. Humez l'odeur épicée de ces femmes à barbes, de ces éléphants costumés, ces ours dressés, ces hommes tueurs de lions, ces lions tueurs d'hommes, ces magiciens au costume râpeux, cette troupe de clowns au maquillage coulant de sueur, cette voyante orientale voilée des tissus qui furent précieux, ce couple de nains cascadeurs, ces comédiens, ces travestis, ces musiciens, ces jongleurs, assassins, équilibristes, contorsionnistes, prostituées, funambules et acrobates et gladiateurs et monstres de la nature! Tous paradent sous la toile modulaire, dans leur palais polyester au costume moulant, couleurs complémentaires, arborant drapeaux et rubans, chiens savants et fusées éclatant dans l'anarchie rangée du cirque. Dans ce chapiteau comme une mauvaise herbe sur la plaine, la foire de mes fantasmes, moi, magicien d'Oz de ces processions lunaires et lunatiques. Je les vois par ma lorgnette, tout là haut sur mon balcon à rambarde miroir, brillant dans l'obscurité perdue du sommet de la tente. C'est de là que tout se joue, des manivelles anciennes me permettent de mouvoir les lumières, de monter les luminaires, descendre les cordes d'escalade tressées de cheveux humains, monter les trapèzes doubles et triples, descendre les cages remplies de singes sauvages, monter les aquariums capitonnés où l'on se noiera sous les yeux ébahis et impuissants du public. La représentation commence, j'ai déjà enfilé mes longues pantoufles à grelots, mon costume vert et blanc, mon chapeau blanc et vert aux énormes grelots retombant mollement sur mes épaules. Un masque discret voile mon regard, Arlequin des sommets, qui saurait me connaître? Faire ouvrir une trappe au bon moment, lancer les boules de fumée, fermer et ouvrir les lumières, les rideaux, voilà tout mon travail pendant le spectacle, le reste serait avant et après. Sous terre, on me verrait crier, chanter, danser, mordre à rigueur, bâtonner les uns, bâillonner les autres, sauter en ribambelle le spectacle terminé, ignorant qu'un autre viendrait, qu'un autre recommencerait le lendemain, ignorant que le cirque est une boucle sans fin, un nœud coulant de spectacle qui ne fait que retranscrire, masquer, maquiller, ritualiser la cruauté du quotidien.

Et un autre chapiteau qui aura, un jour, choisi de s'installer à côté du nôtre.

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